Commentaire du § 36 de Par-delà bien et Mal de Nietzsche, par Saturnin
Devoir ayant obtenu la note de 15/20 à l’épreuve écrite d’histoire de la philosophie de l’agrégation externe, session 2007. Le texte reproduit ci-après, cela va de soi, reprend l’exact contenu du devoir effectivement rendu : les éventuelles maladresses de style tout comme les éventuelles imprécisions référentielles (inévitables dans une épreuve en temps limité) ont donc été reproduites telles quelles…
"Si rien ne nous est «donné» comme réel sauf notre monde d’appétits et de passions, si nous ne pouvons descendre ni monter vers aucune autre réalité que celle de nos instincts — car la pensée n’est que le rapport mutuel de ces instincts, — n’est-il pas permis de nous demander si ce donné ne suffit pas aussi à comprendre, à partir de ce qui lui ressemble, le monde dit mécanique (ou « matériel ») ? Le comprendre, veux-je dire, non pas comme une illusion, une « apparence », une « représentation » au sens de Berkeley et de Schopenhauer, mais comme une réalité du même ordre que nos passions mêmes, une forme plus primitive du monde des passions, où tout ce qui se diversifie et se structure ensuite dans le monde organique (et aussi, bien entendu, s’affine et s’affaiblit) gît encore d’une vaste unité ; comme une sorte de vie instinctive où toutes les fonctions organiques d’autorégulation, d’assimilation, de nutrition, d’élimination, d’échanges sont encore synthétiquement liées ; comme une préforme de la vie ? — En définitive, il n’est pas seulement permis de hasarder cette question ; l’esprit même de la méthode l’impose. Ne pas admettre différentes espèces de causalités aussi longtemps qu’on n’a pas cherché à se contenter d’une seule en la poussant jusqu’à ses dernières conséquences (jusqu’à l’absurde dirais-je même), voilà une morale de la méthode à laquelle on n’a pas le droit de se soustraire aujourd’hui ; elle est donnée « par définition » dirait un mathématicien. En fin de compte la question est de savoir si nous considérons la volonté comme réellement agissante, si nous croyons à la causalité de la volonté. Dans l’affirmative — et au fond notre croyance en celle-ci n’est rien d’autre que notre croyance en la causalité elle-même — nous devons essayer de poser par hypothèse la causalité de la volonté comme la seule qui soit."
Nietzsche, par delà le bien et le mal, § 36.
Le paragraphe 36 de Par delà le Bien et le Mal appartient à la première partie de l’ouvrage intitulé «Des préjugés des philosophes». C’est donc l’un de ces «préjugés» – au sens d’une pensée reçue dont on a oublié selon quelles modalités elle s’est constituée -, qui va trouver à s’y voir déconstruit.
Ce «préjugé», quel est-il ? C’est celui d’une causalité efficiente censée pouvoir servir de principe explicatif universel.
Or, l’on se doit tout de suite de remarquer que la démarche nietzschéenne, si elle peut bien en un sens être dite déconstructive, ne saurait être uniquement cela. Elle détient aussi, et peut-être surtout, une portée positive et constructive dont il convient de voir qu’elle ne passe pas, dans son mode d’établissement, par la position catégorique d’une thèse contraire à celle qui est réfutée (ce qui est le propre d’un certain dogmatisme), mais qu’elle procède par voie de formulations d’hypothèses réfutatives-explicatives : c’est cette démarche hypothétique dont il conviendra de dégager le sens et la portée.
Quatre hypothèses successives sont ainsi mises en jeu dans ce paragraphe 36, chacune prospectant une région théorique propre, mais toutes se répondant et s’«emboîtant» l’une dans l’autre, constituant de la sorte une démarche théorique unifiée.
La première vise à mettre en question le dualisme de l’âme et du corps qui voit celle-là prévaloir sur celui-ci comme étant «mieux connue» ainsi que l’eût dit Descartes.
La deuxième sert à évaluer l’idée d’une unité de la causalité, cette dernière demeurant homogène quel que soit le domaine où elle trouve à s’appliquer.
La troisième introduit la notion apparemment (mais apparemment seulement) subjective de volonté comme ayant une extension plus large que celle de seule causalité, qu’elle comprend donc.
La dernière, enfin, – marquant le terme de la progression argumentative et de la compénétration des champs dégagés par les hypothèses précédentes -, a pour fonction de poser et d’évaluer la notion de volonté de puissance et de vérifier le type d’intelligibilité qu’elle permet.
Ce sont ces quatre hypothèses successives et concomitantes que notre propre démarche présentera donc.
La première hypothèse est la «supposition» pour le moins polémique que la «donné» première, la première des «réalités» qui nous soit connue, est constituée par notre «monde de désirs et de passions».
Si l’ensemble de nos affects, ou, de façon plus générale, des affects de tout ce qui relève de l’organique, constitue un «monde», c’est qu’il est autosuffisant, n’étant subordonné à aucun «autre monde», par exemple celui des «pensées» ou de la pensée, dont il serait dépendant.
Précisément, la portée polémique de cette position des affects comme première donnée réside bel et bien dans l’abandon de la hiérarchie âme/corps que la tradition philosophique a maintenue : nous pouvons facilement renvoyer à Descartes dont le dualisme des substances illustrerait parfaitement cette conception.
Or, en un sens, Nietzsche ne se contente pas de mettre un terme à cette hiérarchie coutumière. Il formule l’hypothèse d’un rapport inverse où les pulsions, constituées en réseau, seraient constitutives de la pensée elle-même : «Car la pensée n’est que le rapport mutuel de ces pulsions».
Afin de mieux saisir le sens d’un tel renversement et pour comprendre qu’il ne s’agit de prendre dogmatiquement le contre-pied de la tradition, peut-être faut-il insister sur le fait qu’il s’agit là d’une hypothèse, autrement dit d’un essai de compréhension (nous reviendrons plus bas sur cette notion d’essai).
Peut-être aussi faut-il remarquer que le paragraphe 36 est compréhensible à partir des attendus du paragraphe 16 dans lequel Nietzsche a montré que la position cartésienne d’un Je-substance constituait tout au plus une hypostase de la grammaire ordinaire qui me fait voir la liaison d’une substance agissante précédant tout acte et en donnant la raison : la liaison sujet-verbe («je pense») nous a fait croire en une dissociation de l’agir et de l’agent et surtout en l’existence autonome d’une substance Je qui demeure pourtant invérifiable : une hypothèse qui se prend pour un fait objectivement vérifié. Or, «l’agir est tout» et il convient, puisque la res cogitans n’est au fond qu’une hypothèse, de formuler l’hypothèse contraire selon laquelle la «vérité» de ce que je suis est à appréhender à partir de la res extensa, du corps. Car comme le dira plus tard Zarathoustra, s’exprimant au nom de la figure de l’enfant (figure du oui, de l’adhésion au nouveau) : «Mais je suis corps aussi» (Ainsi parlait Zarathoustra, «Des contempteurs du corps»).Or, qu’est-ce qu’un corps ?
«Le corps est une multitude, un troupeau et un berger» (ibidem). Le corps est un «système» (un «monde») d’affects et de pulsions qui sont hiérarchisés entre eux non point de façon transcendante en tant qu’ils seraient subordonnés à une «âme» les régissant, mais transversalement en tant qu’ils s’organisent par leurs propres relations mutuelles.
Dés lors, parler de pulsions et d’affects comme de «données» principielles, c’est opérer un renversement de paradigme et opter pour celui du corps, lequel corps, peut-être, est finalement, sinon mieux, du moins autant connu que la prétendue «âme».
Paradigme explicatif, en effet, permettant de mieux connaître un ordre de réalités, mais paradigme qui est aussitôt étendu par Nietzsche au monde inorganique sur la base d’une comparaison avec l’organique : le monde inorganique, parfois, «ressemble» au monde organique et peut-être est-on en mesure de retrouver en celui-là les mêmes modalités pulsionnelles à l’œuvre dans celui-ci.
En effet, pourquoi ne renverserait-on pas la hiérarchie matière/esprit et qui régit l’inorganique, comme l’on a renversé la hiérarchie âme/corps au plan de l’organique ?
Lorsque Berkeley pose le principe «immatérialiste» selon lequel «esse est percipi» («être, c’est être perçu»), il place l’esprit (qui perçoit) en position créatrice de, – donc hiérarchiquement supérieure à -, la matière perçue ; le modèle à l’œuvre ici étant celui de l’agent et du patient.
De même, lorsque Schopenhauer fait figurer la «Maya» hindoue, l’illusion phénoménale (l’illusion des phénomènes) comme constituant le monde et la re-présentation de ce monde par l’homme comme illusion dédoublée en l’esprit, n’opère-t-il pas le geste classique de la disqualification du «matériel» et ne démontre-t-il pas, une fois de plus, l’inadéquation de celui-ci à l’esprit (entendu par Schopenhauer comme volonté) ?
Ces hypothèses, présentées par leurs auteurs comme autant de «vérités», ne montrent rien d’autre sinon la dogmaticité des procédures les ayant permises et surtout l’abandon d’une part non négligeable du réel. L’hypothèse nietzschéenne de la réalité première des affects se démarque donc par sa nature affichée d’hypothèse, et l’hypothèse corrélative d’une liaison de l’organique et de l’inorganique se veut plus heuristique, mieux à même de rendre compte du «degré de réalité» du monde, qui, loin d’être une illusion, une apparence ou une représentation, est au contraire aussi réel que tout affect dont on peut faire l’expérience.
Bien plus, on peut, et peut-être doit-on, supposer qu’au sein de l’inorganique les pulsions et les affects ne se sont pas encore déployés mais demeurent dans une «puissante unité» synthétique. La métaphore du déploiement possible n’est pas sans évoquer celle de l’arbre qui se ramifie peu à peu à la manière de la vie (car il s’agit bien d’elle) qui se développe insensiblement.
Dés lors, et si l’on prend au sérieux cette métaphore vitaliste, force est de reconnaître la vie elle-même comme s’exprimant dans l’ordre organique comme dans l’ordre inorganique.
Mais comment faut-il entendre cette métaphore biologique généralisée ? Doit-on supposer chez Nietzsche ce que lui reprocheront d’aucuns et dont il se plaindra amèrement, à savoir de faire œuvre de «darwinisme moral» (et la possible subordination de l’inorganique à l’organique peut conduire à une telle perspective) ?
La formulation de la deuxième hypothèse est là pour nous garantir de cette erreur.
En effet, percevoir dans l’inorganique une préforme de la vie, c’est là «tenter un essai».
A l’encontre de tout dogmatisme explicatif, la démarche nietzschéenne se veut un essai, une Versuch, pour reprendre le terme allemand, lequel renvoie à l’idée d’expérimentation, de tentative. Par nature, la Versuch est à l’opposé même de la pensée systématique qui unifie, simplifie, radicalise les différences au nom de leur pacification ultérieure, lorsque la dialectique aura œuvré (Hegel, on le sait, constitue l’une des cibles théoriques de Nietzsche).
Antonyme de la pensée du système, la Versuch est en revanche compatible avec la méthode. Car expérimenter ne signifie pas se livrer au hasard heureux des rencontres heuristiques, mais au contraire consiste à provoquer ces rencontres : l’esprit mal assuré de lui-même par défaut de méthode «finit par expier durement d’avoir jugé le monde à coup de oui et de non» (Par delà… § 5), sur le mode dualiste de l’adhésion ou du rejet irréfléchi.
Nécessaire, la méthode s’entend donc à la fois comme exigence d’intelligibilité et constitue un principe d’ordre et de rigueur explicative susceptibles de préserver des «erreurs des philosophes» (titre de la quatrième partie de Par-delà…) ; erreurs parmi lesquelles, outre le dualisme que nous venons d’évoquer, figure aussi le «fétichisme» logique ou la croyance en une cause unique des phénomènes et sur lequel nous reviendrons.
La méthode est aussi un principe d’«économie» explicative : avant d’«admettre plusieurs sortes de causalité», il vaut mieux «tester» une causalité «jusqu’au bout», jusqu’à l’absurde s’il le faut, afin d’être assuré de n’avoir omis aucune observation qui pourrait être éclairante. Ce principe d’économie, en tant qu’il constitue un réquisit méthodologique, constitue aussi la base de la «morale de la méthode», laquelle morale se comprend aussi bien, – car il s’agit de découvrir et de comprendre le monde –, l’exigence pour le chercheur d’interpréter correctement le texte du monde. Il s’agit ici, à la manière d’un philologue consciencieux, de savoir interpréter sans fausser ce que l’on lit, et en sachant ne pas rabattre l’inconnu sur le connu (contrairement aux faux savants qui confondent connaissance et reconnaissance et qui se contentent de «digérer», donc de s’assimiler ce qu’ils ne connaissent pas et ne connaîtront de la sorte jamais (voir Par-delà…, § 5 : «Qu’ils sont faciles à satisfaire les hommes de connaissance !»
Ainsi, la Versuch comme expérimentation méthodique s’appréhendera aussi comme interprétation rigoureuse et même comme exigence d’interprétation rigoureuse : on n’a «pas le droit de s’y soustraire» (si l’on veut être un savant moral, c’est-à-dire rigoureux) : «cela s’ensuit de sa définition, dirait un mathématicien».
Remarquons au passage que le paradigme mathématique ne vient pas seulement imager l’exigence de rigueur, mais, replacé dans l’économie du passage, qu’il s’entend aussi de façon polémique à l’égard de la tradition. Contrairement à ce qui se passe chez Platon, il ne s’agit pas («Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre») de poser une réalité extérieure au monde et fondant ce dernier, mais au contraire de savoir parcourir rigoureusement le texte de ce monde, à la façon de Christophe Colomb pour y découvrir de nouveaux territoires ou comme un «aéronaute de l’esprit» qui se situerait un peu plus haut que la surface de la terre non parce qu’il préfère le ciel, mais pour mieux observer les reliefs…
Muni de cette méthode on peut, troisième hypothèse, poser la question de savoir de quel type d’effet la volonté est capable.
Interrogeant la notion de causalité à partir de la notion plus englobante de volonté, Nietzsche interroge en effet la doxa philosophique selon laquelle, certes, la causalité existe, mais qu’il convient d’en dissocier la notion à partir des plans hétérogènes où elle a lieu : le déterminisme peut être envisagé, par exemple, mais non point comme ayant ses effets sur la volonté, mais seulement sur la matière. La thématisation kantienne opposant causalité naturelle et libre détermination nouménale de la volonté peut illustrer cet étagement de la causalité.
Or, contre cette thématisation dualiste, Nietzsche oppose une caractérisation univoque de la liberté et que la volonté, en tant que causalité, peut s’auto causer.
Cette thématisation, présentée comme une évidence («naturellement»), il faut la comprendre à partir du refus nietzschéen d’une modélisation abusive qui place la cause efficiente au centre de toute analyse. La volonté n’est pas cause efficiente de ses effets. Car dans ce cas, elle agirait exactement comme une force physique (Kraft) et pourrait s’appréhender selon un pseudo-réalisme de la force constituant une mésinterprétation du texte du monde. La volonté n’est pas d’abord à entendre comme la cause efficiente (mécanique) de ses effets (corporels), mais elle ne saurait sortir d’elle-même pour influer sur la matière : au contraire, elle n’a d’effet que sur elle-même et fonctionne de façon purement autarcique. Pour comprendre cette autarcie de la volonté, il va falloir faire l’hypothèse d’une autre acception de la volonté qui ne considérera plus cette dernière sur le modèle mécanique de la force (Kraft), mais sur le modèle pulsionnel de la puissance (Macht)
La quatrième hypothèse prend acte en effet du caractère «pulsionnel» de la vie.
La pulsion, ce n’est pas cette force (Kraft) «aveugle», destructrice, mais au contraire une puissance (Macht) cohésive qui s’auto-organise. Puisque la vie, nous l’avons vu, est développement incessant de ses formes, la pulsion sera la puissance de mouvement qui met en branle le processus formationnel de la vie. Dés lors, la volonté peut s’entendre comme ce qui, au sein de la vie, tend vers la puissance (l’allemand «Wille zur macht» est formel sur ce caractère processuel et non substantiel de la volonté), c’est-à-dire vers toujours plus de cohésivité et d’organisation.
Car la volonté de puissance n’est pas destructrice, mais cohésive : elle se comprend en effet comme une lutte des instincts ou des pulsions, lutte jamais terminée mais dont émerge (pensons à Héraclite : «Le combat est père de toutes choses»), un type d’organisation donné (et en tant que type, cette organisation est bien entendu transitoire, les pulsions étant toujours à l’œuvre). Partant, la volonté de puissance n’est pas un instinct de conservation : ce dernier n’est qu’un cas particulier de celle-là : la «reproduction» ou la «nutrition» se conçoivent sur le modèle homéostatique de la conservation d’un état, de l’équilibre restauré et d’un quantum de forces (Kraft) restauré à l’identique. Au contraire, la volonté de puissance décrit les inter-relations mutuelles des pulsions les une avec les autres : l’équilibre entre elles est sans cesse perdu et sans cesse retrouvé dans retrouvé dans un mouvement itératif ininterrompu. Tout comme chez Leibniz où les monades s’entre-expriment, dans la volonté de puissance, les pulsions comme effets l’une de l’autre se co-définissent en se heurtant. Partant, la volonté de puissance ne saurait s’appréhender à la manière d’une cause antécédent ses effets et leur étant pour ainsi dire transcendante. Au contraire, elle ne se connaît qu’à partir de ses effets, lesquels sont les seules réalités constatables, elle-même demeurant invérifiable dans son objectivité dans la mesure, précisément, où elle ne saurait faire l’objet que d’une hypothèse : hypothèse qui met fin au postulat d’un fondement unique pour poser la multiplicité d’effets se co-fondant réciproquement.
Avec la volonté de puissance, ce qui est posé, c’est donc le refus d’une fondation transcendante de ses effets, le refus d’un «principe» interprétatif du monde tel qu’il se constate : il n’y a pas de «caractère intelligible» du monde, ou plutôt (car l’usage des guillemets traduit chez Nietzsche une relecture polémique des termes), il n’y a pas de caractère intelligible exogène au monde et qui viendrait conférer sens à ce dernier depuis une transcendance hors d’atteinte et illusoire. «Caractère intelligible» doit au contraire s’entendre comme ce qui ne maintient pas l’opposition dualiste intelligible/sensible, mais comme ce qui, à même le sensible comme première et seule donnée, confère au monde une intelligibilité : i. e. qui propose de ce dernier une interprétation rigoureuse, et rien de plus.
Car il n’y a rien de plus que le monde tel qu’il est.
Insistons donc pour finir sur le caractère interprétatif de la volonté de puissance.
Interpréter, en l’occurrence, c’est restituer au texte du monde la cohérence que le «dualisme» et le «fétichisme» de la cause lui avait ôté en supposant (ou plutôt en affirmant dogmatiquement) soit la dualité soit l’unicité du principe causal à l’œuvre.
Renvoyant dos à dos métaphysiciens et empiristes dogmatiques, Nietzsche restitue sa richesse et son épaisseur au monde : la volonté de puissance alliant unité et pluralité et abandonnant par ailleurs toute présupposition fondationnelle.
L’hypothèse de la volonté de puissance constitue donc un risque (celui de l’originalité, donc de l’incompréhension théorique), mais fait de Nietzsche, peut-être, et selon son souhait, le premier des «philosophes libres» et non point un énième «ouvrier de la philosophie».