S'étonner et questionner
Par Pierre Rostaing, professeur de philosophie
Au commencement de la philosophie était l’étonnement…
Le sentiment philosophique : s’étonner. C’est l’origine même de la philosophie.
Platon, Théétète, 115 d.
L’étonnement est ce qui, toujours, pousse les hommes à philosopher.
Aristote, Métaphysique, 982 b 11.
La logique du questionnement
Il y a des questions sans objet, et il y a des questions encore sans objet. Dans Topiques, I, 2, 104b-105a, Aristote écrit que «ceux qui se posent la question de savoir s’il faut ou non aimer ses parents n’ont besoin que d’une bonne correction et que ceux qui se demandent si la neige est blanche ou non n’ont qu’à ouvrir leurs yeux». Mais la question de chacun qui, saisi par l’étonnement, reste comme l’enfant privé de parole pour nommer ce qu’il voit ou ressent, le met à la source même du questionnement : qu’est-ce que c’est ? Telle est, par excellence, la question encore sans objet. Le problème que pose la question encore sans objet est de comprendre, par conséquent ce qui appelle la question comme telle. Car, à ne suivre que la science, on croirait que c’est la ou les réponses qui lui préexisteraient. Or il faut bien admettre que toute question ne se déduit pas de réponses préalables. La question est première, elle est contemporaine de la communication – ou connaissance initiale – de l’homme avec le monde.
Questionner pour connaître
De façon générale, écrit Aristote, «connaître ce qu’est une chose revient à connaître pourquoi elle est». «Que la recherche porte toujours sur le moyen terme [ou rapport inaperçu] entre une chose et une autre, cela résulte manifestement des cas où ce rapport tombe sous les sens. Bref, nous ne questionnons que parce que nous n’en percevons pas le rapport ou la raison d’être.» Seconds Analytiques, II, 2. La science fournit le cadre de la réponse à la question de savoir combien il existe de questions et quel sont leur différents sens. Aristote fixe ainsi le cadre de la pensée occidentale :
«Les questions que l’on se pose sont précisément en nombre égal aux choses que nous connaissons.
Or nous posons 4 sortes de question :
- le fait [demander « quelque chose de quelque chose »],
- le pourquoi [demander la raison de l’attribution],
- si la chose existe [question de l’existence de la chose],
- et enfin ce qu’elle est [question de la nature de la chose].» Seconds Analytiques, II,1.
Ces quatre sortes de question sont liées deux à deux. Car, quand nous prenons connaissance d’un fait, nous voulons connaître sa raison, et quand nous savons qu’elle est, nous voulons savoir ce qu’elle est.
Relation de la question aux réponses
« Pour connaître les réponses, il faut vivre les questions »
Rainer-Maria Rilke.
« Toute question posée en conformité avec la chose même est déjà le pont jeté vers la réponse.
Les réponses essentielles ne sont jamais que le dernier pas des questions.
Mais ce pas ne peut être accompli sans la longue série des premiers pas et des suivants.
La réponse essentielle tire sa portée de l’insistance (souci et persévérance) du questionner.
La réponse essentielle n’est (ensuite) que le commencement d’une responsabilité.
En celle-ci, le questionner plus originairement s’éveille.
C’est aussi pourquoi la question authentique n’est pas supprimée par la réponse trouvée. »
Heidegger, Questions I, 75.