Samuel Paty et la République, par J. Bouvier
A travers Samuel Paty, c’est la République qui est touchée.
Le 21/10/20
A travers Samuel Paty, c’est la République qui est touchée. La République est touchée, mais n’est pas à terre. Elle est debout, et à travers nous, citoyens, élus, elle apporte tout son soutien à la famille meurtrie. La République est blessée par les actes barbares qui ont été commis, mais nous croyons plus que jamais en elle.
Face à la barbarie, nous resterons dignes. Nous ne nous emporterons pas. Nous ne cèderons pas à la haine. Au contraire, nous continuerons à enseigner et porter, au quotidien, les mêmes valeurs qui nous animent. Le respect, la liberté, la liberté d’expression, la laïcité, la liberté de culte, sont des valeurs sur lesquelles nous ne transigerons pas. Nous le disons haut et fort : nous continuerons d’enseigner la liberté d’expression à nos enfants, bien qu’elle ait coûté la vie à Samuel Paty. Elle fait notre force, elle définit la démocratie, même s’il y a parfois un prix à payer pour être libre. Voici une petite anecdote. Pendant les vacances, j’ai donné comme sujet de dissertation à mes élèves : Y a-t-il un prix à payer pour être libre ? J’aurais voulu ne pas si bien dire, ne pas rencontrer autant l’actualité. Car oui, il y a un prix à payer pour être libre : l’actualité l’a montré. L’actualité est parfois brûlante et nous fait souffrir, nous révolte.
Cependant nous ne nous emporterons pas, nous ne changerons pas.
Je suis enseignant, et j’ai reçu de nombreux messages de soutien de mes élèves, d’anciens élèves notamment, qui me connaissent bien. J’ai reçu ces messages, comme si c’était moi qui étais personnellement touché. Il est vrai qu’à travers Samuel Paty, notre collègue d’histoire- géo, chaque enseignant est touché. Mais c’est aussi la République qui est touchée, dans ce qu’elle a de plus essentiel : l’éducation. Nous sommes tous touchés, mais nous ne devons rien changer à notre façon d’enseigner, à notre façon de voir le monde. Nous avons raison d’être ouverts, tolérants, accueillants. Tous ces principes ne sont en rien remis en cause. Face à l’intolérance, à la haine, nous ne deviendrons pas intolérants, haineux nous-mêmes.
J’insiste : nous nous devons de continuer à être ouverts, tolérants, accueillants. Nous le devons à nous-mêmes, ainsi qu’à nos enfants et à la République. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas de meilleure réponse à l’intolérance, aux préjugés, à l’obscurantisme. Le combat des Lumières visait à sortir de l’obscurantisme par le savoir, la connaissance, l’enseignement. Ce combat est encore d’actualité. Nous devons le poursuivre.
Car l’obscurantisme a frappé, il a tué. Et nous sommes de tout cœur avec la famille de Samuel Paty. Nous partageons, si c’est possible, sa douleur. Mais nous ne voulons pas céder à la haine, à la manipulation, à la violence. D’aucuns diront que c’est faiblesse. Je n’en crois rien. Notre dignité est une force. Et nous voulons rendre ici hommage à cet enseignant courageux qui ne faisait que son travail. Les mots de Jean-Jacques Goldman me reviennent en mémoire : « C’était un professeur, un simple professeur, qui croyait que savoir était un grand trésor. Que tous les moins que rien n’avaient pour s’en sortir, que l’école et le droit, à chacun de s’instruire. » Je me suis toujours reconnu dans ces paroles. Peut-être que Samuel Paty s’y serait lui aussi reconnu. Le malheur est que nous ne puissions plus le lui demander. Il n’est plus là, mais nous pouvons témoigner pour lui, continuer à enseigner comme il le faisait. C’est la meilleure façon de lui rendre hommage : continuer à enseigner, continuer à transmettre le savoir, ne changer en rien.
Mais pourquoi savoir est-il un grand trésor ? Entre autres, parce que l’ignorance est la source de bien des maux, comme la violence. L’ignorance, la violence. Le savoir, c’est l’espoir. L’espoir d’un monde meilleur, où l’on partage des valeurs comme l’instruction, l’école, la laïcité. Je crois que savoir est un grand trésor, et je veux l’affirmer haut et fort. La peur ne m’empêchera pas de le proclamer. La violence ne m’interdira pas de le dire, de dire, avec Goldman : « A chacun de s’instruire. » Tous peuvent y avoir accès, et le professeur n’a aucun privilège, c’est un simple professeur. Samuel Paty était un simple professeur, je suis un simple professeur, mais je crois en l’enseignement et en la liberté d’expression, qui sont des valeurs bien plus grandes que moi, car ce sont les valeurs de la République, que j’aime et que j’admire.
Ces valeurs sont les nôtres. C’est pourquoi nous ne nous emporterons pas. Nous ne cèderons pas à la haine. Face à la barbarie, nous resterons dignes.
— Je vous remercie.
J. Bouvier,
Adjoint à l’enseignement et à l’éducation populaire (Ville de Fontaine),
Agrégé de philosophie (Lycée Marie Curie, Echirolles)